Banafsheh Farizabadi

Banafsheh Farisabadi

Artiste et poète iranienne, née à Téhéran en 1982, elle a traduit Camus, Hugo et Balzac en persan. Son recueil en persan (Quelques minutes après le suicide) est interdit par le gouvernement iranien. Elle a aussi été éditée dans des anthologies en Turquie et aux États-Unis. En France, elle a été reçue en résidence à la Fondation Camargo, à la Maison Julien Gracq, au chalet Mauriac et au Collège International des Traducteurs Littéraires d’Arles.

Sa traduction du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo en est à sa 21ème impression en Iran, ce dont elle est fière, car la lutte contre la peine de mort est l’un de ses combats. Après l’interdiction de deux de ses recueils de poèmes, elle  a décidé de ne plus publier de poésie dans son pays mais librement sur Internet ou à l’étranger : « J’aime mon pays, je suis fière d’être Iranienne, mais la vie des artistes y est très difficile. Encore plus pour les femmes, bien sûr. (…)  Pour la traduction, je peux d’une certaine façon jouer avec la censure, mais pour la poésie, je ne peux en accepter aucune. »

Pays : Iran

GOUTER AU CIMETIERE

Il a déposé les lambeaux de son corps brisé dans la terre du mien
et dès que son cœur en malaise a retrouvé la quiétude, il est parti.

Sa ville était ma langue maternelle,
la langue des grands-pères de mes grands-pères,
là où il avait cueilli des herbes parfumées sur les collines.
Il avait dit que le sucre apaisait les tumultes du soir,
qu’il était le remède à la turbulence du thé et du gingembre de dix-neuf heures.
Il l’avait dit avant de se lever.
Dans le creux du fauteuil, le vieil homme, l’emplacement de ses maigres fesses, et dès son départ,
des morceaux de ses morceaux se sont déposés en moi.

Du plomb et des pierres bleues et vertes se sont échappés des plis soignés de sa chemise,
avant d’atteindre le plan de travail de la cuisine,
et une fois arrivés là-bas,
les mines de son être se sont effondrées.
Sa langue était ma terre maternelle,
la terre des grands-pères de mes grands-pères,
là où il avait ramassé des poignées de petits coquillages sur les rives grises et vertes,
puis il avait répété le thé et s’était levé pour en verser…

Ô vieil homme ! Je suis ton cimetière.
Froisse-toi dans les crevasses de la peau de mes doigts.
Froisse-toi pour fusionner, morceau par morceau,
avec les minuscules insectes qui grouillent en moi la nuit.
Je mâche du sucre,
Tu répètes le thé puis tu te lèves, absorbé.
Les vagues s’écrasent sur les rivages gris de ma terre ancestrale,
et les pierres de tous les gisements du monde
s’écroulent dans tes jambes fragiles
dans le court trajet entre le samovar et la cuisine.

©Banafsheh Farisabadi (poème inédit)